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Depuis près d’un an, les quatre accusés – Azor Kalite, Charfadine Moussa, Antar Hamat et Oscar Wordjonodrogba – se réunissent régulièrement au Tribunal pénal spécial (CPS) de Bangui pour répondre des accusations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés à Ndélé, un ville située à 650 kilomètres au nord-est de Bangui.

C’est la partie civile qui a ouvert les mémoires, lundi 4 novembre. Albert Panda, l’un des deux avocats des victimes, raconte s’être rendu à Ndélé pendant dix jours pour recueillir leurs attentes et demandes concernant ce procès. « Plus de six cents personnes ont exprimé leur volonté de se constituer partie civile », a-t-il déclaré depuis la chambre. « Cela démontre l’impact qu’a eu ce conflit sur la population civile de Ndélé », qui compte une dizaine de milliers d’habitants.

M. Panda est revenu sur les origines des événements de Ndélé, caractérisés par des représailles entre deux ethnies (les Goula et les Rounga), majoritaires au sein du mouvement rebelle FPRC (Front populaire pour la renaissance de la République centrafricaine). Pour l’avocat, tout a commencé avec l’assassinat du général Goula, Issa Issaka Aubin, dans des circonstances qui ont choqué toute sa communauté. « C’est de là qu’est née la réponse de Goula. Résultat : l’attaque du 29 avril 2020 au marché de Ndélé. Il s’agit donc d’une attaque planifiée et coordonnée », insiste-t-il. Dès lors, pour la partie civile, la responsabilité du prévenu dans l’agression est clairement établie.

« Je demande à votre tribunal de déclarer Azor Kalite, Charfadine Moussa, Antar Hamat et Oscar Wordjonodrogba, coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité », conclut Me Panda.

Peines requises de 20 à 30 ans de prison

Le parquet spécial est intervenu mardi 5 novembre. Dans son acte d’accusation, Alain Tolmo, premier procureur spécial adjoint du pays, a requis une peine de 30 ans de prison contre Kalite. Pour les trois autres accusés, il a demandé au tribunal de les condamner à 20 ans de prison. Tous les quatre, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Pour justifier la différence entre les peines demandées, le parquet a invoqué le caractère « principal » ou « accessoire » des crimes. Pour le parquet spécial, Kalite est l’auteur principal. Il « a exhorté et encouragé, uni et influencé psychologiquement les combattants à commettre un crime ». Et ce avec « une intention bien définie et un plan bien élaboré ».

Le sol revint sur le chemin de Kalite. Il a d’abord travaillé comme « traqueur », travaillant dans les parcs naturels et guidant les touristes lors de leur visite à Ndélé en 1997. Après quatre ans de travail, il a été enrôlé dans les Forces armées centrafricaines (FACA) en 2001 où il a servi dans la sécurité présidentielle. jusqu’en 2003. Instructeur militaire à Bouar en 2008-2009, il rejoint la rébellion Séléka en 2012. Avec la chute de son Michel Djotodjia, Kalite s’installe à Bria et continue de travailler dans une branche de la rébellion. FPRC. Il devient ensuite chef de cabinet d’un groupe dissident du mouvement après la mort d’Issa Issaka.

Tolmo précise que lors de son arrestation le 19 mai 2020, avec d’autres combattants, Kalite était en possession de sept Kalachnikov, trois mitrailleuses, un sac de chargeurs, 350 cartouches et un brassard jaune, signe distinctif des Goula lors des affrontements. . . « Et avec tout ce matériel, il a fini par mentir à votre Tribunal en disant qu’il venait à Ndélé pour une mission humanitaire. Si seulement nous avions trouvé des sachets de sucre dans ses mains ! » ironise le procureur. Tolmo brandit une autre « preuve » : « Durant la période du conflit armé entre Goula et Rounga du FPRC, Azor Kalite en tant que chef de Goula déclarait à l’AFP le 7 mars 2020 : ‘nos frères de Ndélé ont été contraints de quitter la terre.’ Demain, nous reprendrons la ville. Comment la ville va-t-elle se relever ? » demande le procureur de la République.

Alain Tolmo, premier procureur adjoint national du Tribunal pénal spécial. Photo : © Tribunal pénal spécial

Azor Kalite, le chef de projet ?

Dans son acte d’accusation, Tolmo cite une déclaration faite par Kalite aux enquêteurs : « Je suis venu avec une trentaine de personnes. Ils sont tous jeunes. Ils sont désespérés. Ils ont perdu leurs pères et leurs mères. À l’heure actuelle, je protège encore 11 000 personnes. Les autres font partie de la communauté Goula et défendent la même cause. Nous étions tous au village pour défendre la population. » Le procureur s’étonne que l’accusé ait refusé de signer le procès-verbal de son audition. «Il a dit qu’il pensait que c’était juste une conversation. » Mais selon le procureur de la République, l’officier de police judiciaire l’avait informé qu’il s’agissait en réalité d’un interrogatoire.

Toujours selon l’accusation, dans la matinée du 29 avril 2020, des témoins ont vu Kalite quitter le village périphérique de Léména en compagnie des dirigeants du FPRC en direction de Ndélé. D’autres combattants Goula ont affirmé qu’il avait combattu à leurs côtés. Et que l’idée de porter des bracelets jaunes et des bandes de tissu est venue de lui. « De plus, Azor Kalite a participé à la mise en œuvre du plan d’attaque des combattants sur le terrain. A propos de ces observations, il confie aux premiers enquêteurs en ces termes : ‘Nous avions tous les moyens du bord : armes de chasse, armes de guerre, AK47, DMK, armes artisanales, lance-roquettes, calibre 12… que nous avons repris de entre les mains des Runga. Par la suite, le 29 avril 2020, on a vu faire peur à Abdoulaye Hissène [chef d’Etat-major du FPRC à l’époque, considéré comme l’auteur des attaques contre les Goula]nous devrions aller à Ndélé. Nous sommes seulement venus lui montrer que nous aussi pouvons faire du mal. » « Et le mal est fait », affirme le procureur.

Chafardine Moussa, le bras droit ?

Selon le parquet, Charfadine Moussa a lancé l’attaque le 29 avril 2020 contre le marché de Ndélé avec Kalite. Goula originaire de Birao, résidant à Bria et considéré comme l’un des colonels influents du FPRC, a été arrêté à Ndélé en compagnie de Kalite en possession de deux armes. L’accusation note que Moussa a constamment fait évoluer ses propos. « Cela dit une chose et son contraire. Vous en tirerez les conséquences, Monsieur le Président ! »

Un témoin a précisé que les 26 et 27 avril 2020, il se trouvait à Léména, en périphérie de Ndélé. Et que, le 29 avril 2020, il se trouvait à Ndélé. Dans sa déclaration aux enquêteurs, Moussa a indiqué avoir répondu à l’appel de Kalite pour venir en aide à la communauté Goula attaquée par les Rounga.

Motjonodrogbavraiment absent ?

De l’ethnie Goula et membre du FPRC comme les trois autres coaccusés, Oumar Oscar Wordjonodrogba affirme ne pas avoir participé aux affrontements de Ndélé. Mais il indique qu’Azor Kalite, Antar Hamat et Charfadine Moussa, arrivés une semaine avant l’attaque de Ndélé, se sont concertés avec un certain Ataïr anglais (persécuté mais absent devant le bar) pour planifier l’attaque du 29 avril 2020. Or, la trace téléphonique localise Wordjonodrogba à Ndélé lors de toutes les attaques, d’où il a eu plusieurs échanges téléphoniques (appels et SMS) avec Kalite.

Antar Hamat, participant à l’attaque ?

Membre du FPRC et également issu de l’ethnie Goula, Hamat a été arrêté avec les autres coaccusés, en possession d’une arme. Mais il ne se souvient pas s’il l’a acheté ou si on lui a offert. L’accusation déplore le manque de cohérence de ses déclarations, mais est convaincue que Hamat était présent parmi les combattants de Goula aux côtés de Kalite. « Des témoins ont confirmé qu’il avait participé à l’attaque », a indiqué le parquet.

Pour le procureur adjoint Romaric Kpangba, le marché de Ndélé n’était pas un objectif militaire et les populations présentes n’étaient pas armées. Cette attaque à elle seule a fait 29 morts, des dizaines de blessés et une centaine de commerces incendiés et pillés. Selon lui, des meurtres (crimes contre l’humanité et crimes de guerre), des actes et persécutions inhumains (crimes contre l’humanité), des attaques contre la population civile (crimes de guerre et crimes contre l’humanité) et des actes de pillage (crimes de guerre) ont été commis. Kpangba précise que les combattants du FPRC Goula ont attaqué au moins deux fois les quartiers à prédominance Rounga de Ndélé et le marché central. Ces actes de violence ont entraîné plusieurs morts par balle, des victimes civiles ne participant pas aux combats. Plus d’une cinquantaine de corps ont été enterrés dans de fausses communes lors des deux premières attaques tandis que 29 civils ont perdu la vie lors de la troisième attaque.

« Au vu de ce qui précède, conclut Tolmo, le Parquet spécial note que les responsabilités individuelles d’Azor Kalite, Charfadine Moussa, Oumar Oscar Wordjonodrogba et Antar Hamat peuvent être établies au-delà de tout doute raisonnable en tant que co-auteurs. »

Défense dans le même sens : acquittement

Aucun avocat de la défense n’a plaidé coupable. Ils affirment tous soit que leurs clients n’étaient pas à Ndélé au moment des crimes, soit qu’ils étaient venus aider des proches attaqués par les Rounga. La défense déplore le manque de preuves et conteste la faisabilité des rapports d’audition du prévenu.

Selon Marius Bangati, l’avocat de Wordjonodrogba, « toute plainte obtenue en violation des conventions ratifiées par la RCA, y compris la torture, sera probablement exclue de la procédure », a-t-il déclaré, précisant que son client a été ligoté, placé dans un conteneur et interrogé en l’absence d’un avocat et d’un interprète. Pour Me Bangati, « parmi tous les témoins qui ont comparu devant la Cour, aucun n’a démontré la présence d’Oumar Oscar Wordjonodrogba lors de l’attaque du 29 avril 2020. On ne peut pas se focaliser uniquement sur le fait qu’il est de l’ethnie Goula, qui a été arrêté. avec d’autres et pour le fait de posséder une arme, de demander au tribunal de le condamner à 20 ans de prison. » Me Bangati conclut en demandant l’absolution pure et simple de son client, car « il n’a participé ni de près ni de loin à l’attentat de Ndélé du 29 avril 2020 ».

Claudine Bagaza, l’avocate de Hamat, accuse l’Etat centrafricain de n’avoir rien fait pour empêcher la commission de ces crimes. Il demande également l’exclusion des plaintes et l’acquittement de son client car, selon lui, « aucune preuve ne démontre qu’Antar Hamat a tué, pillé, mutilé des personnes, etc. » Au contraire, neuf témoignages rapportent qu’il apportait de l’aide à des personnes en difficulté. »

Acquittement demandé également par Fleury Hotto en faveur de Moussa. M. Hotto estime que dans cette affaire, les actes d’assassinat, d’extermination, d’esclavage, de disparitions forcées, de détention illégale et de torture n’ont pas été prouvés. Il a notamment indiqué qu’aucun élément ne démontre que son client ait participé aux actes d’expulsion qui lui sont reprochés, précisant que les habitants eux-mêmes avaient quitté le quartier pour leur sécurité personnelle « ce qui n’était pas comparable à une expulsion forcée.

Allez trouver les vrais coupables

C’est au tour de Guy Antoine Dangavo, l’avocat de Kalite, d’entrer en scène. « Les témoins cités par l’accusation ont clairement affirmé qu’ils n’avaient jamais vu Kalite à Ndélé. Les témoins n’ont pas nommé Kalite, mais ont parlé d’autres assaillants. Lors de leur témoignage, ils ont déclaré avoir entendu. Qu’ils n’étaient pas là. Vous devez prendre du recul par rapport à ces dépositions, Monsieur le Président. Les personnes traduites devant votre tribunal ne sont pas de vraies personnes. Laissons le parquet chercher ailleurs», insiste-t-il.

Concernant le rôle de coordinateur attribué à Kalite, son avocat précise qu’il l’était, mais dans le cadre du programme de désarmement. Et si le parquet parle d’armes saisies dans les mains de l’accusé, Me Dangavo répond que son client est un militaire, qu’il s’agit d’une arme de service et que « lorsqu’il a été arrêté, son chargeur est resté intact. Il n’a tiré aucun balles. » Me Dangavo suit ses confrères et demande l’acquittement de son client, faute de preuves suffisantes, les prévenus ont eu la parole pour les derniers mots de leurs avocats. rien n’est fait. Je demande ma libération », ont déclaré les prévenus les uns après les autres. L’audience de l’affaire était prévue le 13 décembre.

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