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Les massacres de Bogoro ont été commis en février 2003 sur fond de violences interethniques entre Lendu et Hema dans la province de l’Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC). La milice de Germain Katanga, la Force de Résistance Patriotique de l’Ituri (FRPI), appuyée par les Lendu, était arrivée sur place avec une expédition punitive contre la milice de Thomas Lubanga, l’Union des Patriotes Congolais/Réconciliation et Paix, qui avait établi une base dans ce village habité principalement par les Hema. Mais avant de condamner Katanga en 2014 pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, le Cour pénale internationale (CPI) Lubanga a été condamné en 2012 pour avoir recruté des enfants soldats. Et fin 2017, les juges ont fixé à 10 millions de dollars le montant des réparations collectives que Lubanga est tenu de payer. Après l’avoir déclaré indigent, la Chambre a ordonné au Fonds d’aide aux victimes de la CPI de mettre en œuvre ces réparations en faveur de 2 500 victimes, dont 2 100 directes (anciens enfants soldats) et 400 indirectes (parents et proches).

Contrairement aux réparations dans le cas du Katanga, qui sont mises en œuvre par le Fonds lui-même, celles de Lubanga sont mises en œuvre par l’intermédiaire des organisations déployées en Ituri. Celle que nous identifierons sous le sigle NND pour des raisons de sécurité est une ancienne enfant soldat enrôlée de force en 2002 à Nyangarayi, un village du territoire voisin de Djugu, alors qu’elle vendait des bananes pour aider sa mère à nourrir sa famille. Elle n’avait que 12 ans au moment des faits, elle a été violée, enrôlée et envoyée combattre au sein de l’UPC de Lubanga.

 » Cette affaire de viol me hante à chaque fois que je m’en souviens. Cela nourrit mon esprit de vengeance. Ils m’ont volé ma virginité et m’ont posé des problèmes gynécologiques », regrette-t-elle en racontant son passé à Justice Info, à Bunia, la capitale de l’Ituri, où nous l’avons rencontrée en juillet.

Les limites de l’accompagnement à l’entrepreneuriat

Le NDN a combattu au sein de l’UPC pendant un an et, selon des témoins, a servi d’escorte d’abord à Lubanga puis à Bosco Ntaganda, un autre chef de guerre congolais condamné par la CPI. Elle a réussi à s’enfuir lorsque la milice rivale Lendu est venue attaquer l’UPC à Nyangarayi, permettant à la jeune femme d’alors de rejoindre sa famille à Bunia avant de trouver refuge à Beni, au Nord-Kivu.  » A Beni, des gens qui m’avaient vu déambuler en tant qu’escorte dans l’entourage de Lubanga ont alerté les services de sécurité qui m’ont mis en prison, me traitant d’espion des miliciens de l’Ituri. Quand j’avais moins de 15 ans, j’ai passé trois jours en prison » se souvient la jeune femme qui s’est rendue à La Haye pour témoigner contre Lubanga.

NND fait partie des 2 500 bénéficiaires dès 2021 de réparations collectives liées à l’affaire Lubanga. Sous la supervision de l’ONG italienne de coopération internationale (COOPI), qui met en œuvre le programme, NND a reçu 850 dollars pour soutenir une activité génératrice de revenus (AGR) qui lui a permis d’ouvrir un magasin de vente de produits alimentaires (haricots et riz) et de boissons.  » Au début, les dépenses et les charges étaient excessives. Sur les 850 personnes, nous avons dû payer le loyer, l’électricité et diverses taxes d’État. Les affaires semblaient aller bien, mais le capital était insignifiant face aux difficultés. Il ne pouvait pas vous nourrir ni vous vêtir. Nous avons dû nous battre les uns contre les autres pour survivre. » dit-il.  » On nous avait promis un soutien, mais c’était un suivi sans soutien financier, ça ne servait à rien. J’ai été obligé de revendre mes objets avant l’échéance de mon loyer », explique-t-elle en nous accueillant dans son ancienne boutique transformée en dortoir, en attendant que le propriétaire lui rembourse les mois restants. Outre le soutien de l’AGR, NND a également bénéficié d’un traitement physique pour une fracture provoquée alors qu’il fuyait la violence, ainsi que d’un soutien scolaire : le programme finance les études supérieures de cet ancien enfant soldat qui craint le chômage dans un pays où l’accès au travail est un problème. mal de tête.

NDD, kidnappée à 12 ans, violée et devenue enfant soldat, a dû transformer son ancienne boutique en dortoir. Photo : © Claude Segenya

Qui a droit à l’éducation ?

Upar Waron est un autre ancien enfant soldat – il a également perdu son frère aîné et son père dans des violences ethniques en Ituri – qui a bénéficié de l’éducation et du soutien de l’AGR qui l’a aidé à financer ses études de médecine à Bunia. Le jeune homme, aujourd’hui âgé de 33 ans, a certes terminé ses études mais un nouvel obstacle l’attend.  » Tout le soutien investi risque d’être gaspillé alors que j’ai du mal à trouver l’argent nécessaire à mon adhésion à l’Ordre, condition nécessaire pour exercer la profession de médecin. La pharmacie que le Fonds m’a aidé à ouvrir n’a fonctionné que cinq mois car j’ai été obligé de la vendre pour financer le reste des coûts non couverts par le Fonds : j’accepte de nous payer 400 $ par an seulement lorsque nous avons besoin de plus de 1 000 $ pour la dernière année seulement « , explique.

Dans le cas du Katanga, certains bénéficiaires nous ont indiqué que le Fonds avait accepté de soutenir l’éducation des enfants en âge scolaire ou des proches des victimes. Mais dans le cas Lubanga, la situation semble différente.  » Ils insistent désormais sur le fait qu’ils ne fourniront qu’un soutien universitaire aux victimes. Mais je suis déjà père de toute une famille, j’ai des enfants, ce qui m’inquiète c’est de les nourrir plutôt que de retourner à l’université. Ne peuvent-ils pas plutôt financer les études universitaires de nos enfants ? Le reste d’entre nous n’a plus l’âge ou le temps nécessaire. Leurs dossiers traînent en longueur et des compensations sont disponibles alors que nous ne sommes plus prêts à étudier « , explique Bienvenu Baraka, la trentaine et qui a servi comme enfant soldat à l’âge de 12 ans. Lors de notre visite à Bunia, Bienvenu nous a confirmé qu’il avait également bénéficié d’une aide de 850 dollars pour un AGR, d’une formation en plomberie et d’un accompagnement physique. .» En six mois comme enfant soldat, j’ai combattu à Katoto, Iga Barrière et Komanda. C’est sur le front de Komanda que je suis tombé dans un puits d’or. J’ai subi une fracture qui m’a causé des douleurs pendant plus de dix ans. Merci au Fonds qui vient de m’offrir un traitement. Maintenant j’ai mes prothèses », se félicite-t-il.

La satisfaction de Ruth

Comme Baraka à Bunia, Ruth Biangire, rencontrée à Bogoro, fait partie des victimes de Lubanga heureuses d’avoir bénéficié de quelque chose pour reconstruire leur vie. Elle a également reçu 850 $ qui lui ont permis de démarrer une entreprise de production de haricots, de vendre du carburant et d’ouvrir une boucherie dans ce village d’éleveurs.  » J’ai réussi à diversifier mes sources de revenus. Chaque semaine, j’arrive à abattre une vache et chaque jour je peux disposer de 600 litres de carburant (1 litre coûte 1,5 dollars). Mes revenus m’aident à répondre adéquatement à mes besoins » exulte la jeune femme que nous croisons assise sur un « azunu », un siège fait de morceaux de bois, derrière l’étalage de ses bonbonnes de carburant, sur la route, à proximité du carrefour principal de Bogoro.

David Sabiti Mugeni, directeur de Babiase, dont Bogoro est la capitale, affirme que les réparations ont beaucoup aidé.  » Certains diront peut-être que les réparations ne sont pas proportionnelles aux dommages subis, mais ils devraient se réjouir d’avoir au moins aidé de nombreux bénéficiaires. Sans ces compensations, beaucoup de gens mendiraient. Les réparations ne peuvent pas tout couvrir, l’important est de bien gérer le peu que l’on a reçu. », recommande cette autorité coutumière.

Ce que ne savent pas les victimes de l’affaire Lubanga, pour qui le programme du Fonds de réparation de la CPI doit prendre fin en 2026, c’est si elles recevront l’indemnisation individuelle symbolique de 250 dollars accordée à toutes les victimes katangaises.

Femmes sans abri et victimes laissées pour compte

 » Mon gros problème, comme celui de beaucoup de femmes, ce sont les soins gynécologiques. » reprend NND. « À l’hôpital, on m’a dit que le viol que j’avais subi pendant la guerre réduisait mes chances d’accoucher. Il en va de même pour de nombreuses femmes qui ont vécu la même situation. Mais lorsque nous demandons aux soignants de nous prodiguer des soins gynécologiques adéquats, ils répondent qu’ils disposent de ressources limitées, alors même que c’est le besoin le plus important pour nous, les femmes. Le laisser de côté nous dérange. Nous ne nous sentons pas guéris », regrette-t-il.

Welcome Baraka et Upar Warom s’inquiètent pour les anciens camarades avec lesquels ils ont combattu dans la milice de l’UPC et qui n’ont bénéficié d’aucune aide du programme de réparation.  » Il faut penser à ceux qui n’ont pas été identifiés. Je connais deux de mes anciens camarades avec qui nous étions à l’UPC et qui n’ont jamais bénéficié de rien malgré avoir enduré la même épreuve. », témoigne Warom.  » Mes deux frères faisaient également partie du mouvement mais l’identification s’est faite alors qu’ils partaient chercher de l’or loin de Bunia. Ils ont ainsi perdu la possibilité de bénéficier d’une indemnisation. J’en connais aussi qui ont été identifiés pour bénéficier de réparations mais dont les noms n’ont jamais été communiqués à Bunia », rapporte Baraka.

A Bogoro, dans le cas du Katanga, Etienne Kagwahabi nous a expliqué que l’identification avait été faite alors que beaucoup étaient encore réfugiés en Ouganda. « OUIl ne savait pas quoi leur dire. Pour la paix sociale, la Cour devrait étudier comment récupérer toutes ces victimes laissées pour compte », recommande le notable.

D’autres victimes sont celles qui ont été marginalisées au nom du principe des victimes indignes, parce qu’elles ont subi des crimes qui n’ont pas été reconnus par les juges de la CPI. C’est le cas de Maki Tchetchu Olivier, qui a subi de graves tortures alors qu’elle tentait de défendre sa sœur NND. Il passe à côté de nous pendant que nous interviewons celui-ci.  » Lorsque ma sœur a été emmenée par Nyangarayi, je les ai pourchassés. J’ai également été arrêté et emmené à Rwampara [siège de l’État-major de l’UPC]. Ma sœur était isolée dans une maison où je l’entendais crier alors qu’elle était à nouveau violée. Alors que je courais chez moi pour tenter de la sauver, ils m’ont attrapé et torturé. J’ai passé deux jours ligoté, plein de sang. J’ai été emmené dans un établissement de santé où j’ai passé trois mois dans le coma. Aujourd’hui, j’ai des prothèses dans les bras. Moi aussi j’ai subi des crimes mais je n’ai jamais compris pourquoi j’étais exclu de l’indemnisation, pour des crimes qui ont ruiné ma vie « , a-t-il déclaré.

« Un pardon me suffirait »

Le NND affirme avoir reçu l’assurance à La Haye qu’à leur retour en Ituri, au Katanga et à Lubanga, ils devraient s’excuser auprès des victimes pour les dégâts causés. Mais depuis leur retour en mai 2020 en Ituri, suite à leur libération surprise à Kinshasa dans le cadre d’une mission de maintien de la paix, « ils ne nous ont jamais demandé pardon », a-t-il dit à propos de deux anciens chefs de guerre.

 » Quand les gens me citent ces noms, je me mets en colère. Ils ont ruiné ma vie ; ils ont volé mon enfance. Je n’avais pas un horaire scolaire normal. Ils ont détruit ma virginité, ma fertilité », déplore NDD.  » La grâce me suffirait », ajoute-t-il.

NND et son frère Olivier expliquent que ces violences du début des années 2000 ont détruit le tissu social de l’Ituri et que, selon eux, un véritable dialogue est nécessaire pour réconcilier de nombreuses familles divisées.  » Nous sommes Lendu, mais j’ai servi d’escorte à un Hema [Lubanga]. Cela n’a jamais été digéré par les membres de ma famille qui croient encore que mon père a envoyé sa fille combattre parmi les Hema pour tuer ses frères Lendu. Non, j’ai été enrôlé de force. Chez nous au village, à Djugu, nous ne pouvons pas accueillir notre famille car ils pensent toujours que nous avons servi le camp adverse. », témoigne NND, les larmes aux yeux.

Nul doute que tout le monde serait finalement d’accord avec Madame Tibelio, à Bogoro, qui le pense « Le meilleur remède est la paix, car si la paix règne, nous pourrons développer toutes nos activités, y compris celles que nous avons reçues de la CPI. »

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